Plus on est de fous, plus on rit. Même en amour. La juge new-yorkaise Karen May Bacdayan semble en être convaincue et a, pour la première fois dans l’histoire, conféré une légitimité juridique à une relation polyamoureuse. Le polyamour se définit comme une relation, tant affective que sexuelle, entre plusieurs personnes consentantes. En d’autres termes, il s’agit d’un triangle ou d’un quadrilatère amoureux ou d’une autre figure plane à plusieurs côtés, où chaque côté a des relations avec un ou plusieurs côtés et où tous les côtés s’approuvent.

L’histoire est la suivante et elle implique trois hommes. Scott Anderson et Markyus O’Neill vivaient ensemble dans un appartement de New York. Robert Romano, le “mari” d’Anderson, résidait cependant ailleurs. Anderson est mort en 2021. O’Neill a alors voulu reprendre le bail conformément à un règlement de la ville de New York qui stipule qu’en cas de décès d’un locataire au nom duquel le bail est enregistré, le propriétaire ne peut expulser «ni le conjoint survivant du locataire décédé ni un autre membre de la famille du locataire décédé qui vivait avec le locataire». Le propriétaire de l’appartement ne voulait pas reconnaître à O’Neil le droit de renouveler le loyer parce qu’il n’était pas un «membre de la famille non traditionnelle», c’est-à-dire de la «famille arc-en-ciel». Au contraire, O’Neil a déclaré qu’il avait le sentiment d’être un «membre de la famille» puisqu’il était également en couple avec Anderson.

Le juge a donné raison à O’Neil, déclarant que l’existence de ce triangle amoureux «ne devrait pas automatiquement rejeter la demande d’O’Neill de ne pas être expulsé». May Bacdayan ajoute de manière significative : «Pourquoi une personne doit-elle s’engager avec une autre personne uniquement de certaines manières prescrites afin de bénéficier d’une stabilité de logement après le départ d’un être chéri ? Toutes les relations non traditionnelles doivent-elles inclure ou ne comprendre que deux personnes principales?» Citant ensuite un arrêt pertinent pour l’affaire et portant sur la succession du bail d’un couple gay et l’arrêt Obergefell v. Hogdes qui s’est ouvert au “mariage” gay, le juge concède que ces arrêts ne reconnaissent «que les relations à deux personnes». Mais il ajoute ensuite : «Ces décisions, cependant, ouvrent la porte à la prise en compte d’autres constructions relationnelles ; et, peut-être, le moment est-il venu de les considérer».

Le raisonnement est simple : pourquoi la seule relation reconnue par la loi devrait-elle être bipersonnelle et non tri-tétra-penta-personnelle ? Qui a dit que l’amour n’est basé que sur deux personnes ? La reconnaissance des couples homosexuels – c’est le raisonnement du juge qui, il faut le dire, a perdu la raison – a clairement montré que l’orientation sexuelle ne peut être le discriminant pour distinguer ce qui est légitime de ce qui ne l’est pas. Mais alors, si l’orientation sexuelle ne pose pas de problème en termes de légitimité juridique, pourquoi le nombre ? Si “l’amour est l’amour”, il l’est aussi et peut-être surtout s’il y a plus de deux amoureux. L’argument ne prend pas une ride car la prémisse est erronée, puisque l’amour qui ne naît pas des liens du sang ou de l’amitié ne peut être qu’exclusif, sinon il n’exprimerait pas un don total pour l’autre.

Nous avons écrit que c’est la première fois dans l’histoire qu’un juge se prononce en faveur d’une relation polyamoureuse. Mais ce n’est pas la première fois qu’une relation entre plus de deux personnes reçoit l’approbation formelle d’une autorité publique. En février de l’année dernière, les médias ont rapporté comment un juge californien n’avait pas tant reconnu une relation polyamoureuse, mais une relation polygénique, c’est-à-dire qu’il avait reconnu qu’il y avait trois hommes comme pères de deux enfants. Une sorte de reconnaissance indirecte du polyamour. En outre, il y a quelques années, le Conseil municipal de Somerville, également aux États-Unis, a qualifié les relations polyamoureuses de forme légitime de partenariat domestique : «une entité formée par des personnes» au lieu d’«une entité formée par deux personnes», peut-on lire dans l’ordonnance du Conseil. La décision du Conseil a été prise parce qu’à l’époque, en pleine urgence Covid, certaines personnes s’étaient plaintes de ne pas être autorisées à rendre visite à leur partenaire dans les hôpitaux, l’accès n’étant autorisé qu’aux membres de la famille et à un partenaire cohabitant.

Le polyamour est finalement l’une des innombrables manifestations du pluralisme culturel – plus pluriel que cela ! – et de la pensée liquide, qui, cependant, lorsqu’elle veut faire autorité, ne répudie pas l’apparence formelle de la loi qui la cristallise et la définit.

Source : www.correspondanceeuropeenne.eu