La transformation profonde des femmes de notre siècle pourrait mener à la création d’une « Femme 2.0 », un individu de genre neutre, « augmenté » et sans filiation. Que proposer face à la menace de la perte d’identité féminine ?

Par Laetitia Pouliquen

L’aspect le plus apparent de l’identité féminine est la fécondité propre à la femme : même si les féministes radicales contestent ce constat, nous osons affirmer que la femme diffère profondément de l’homme dans toute sa structure psycho-physique. Aristote le pressentait déjà : pour lui, la femme est un réceptacle, une matrice dans lequel se forme le petit d’homme. Et en devenant mère, l’homme devient père et le fruit de leur union devient « fils ou fille de… ». La philosophe allemande Edith Stein parle ainsi de la maternité : « Le devoir d’accueillir en soi un être vivant en devenir et en croissance, de l’abriter et de le nourrir conditionne une certaine concentration sur soi-même. Le processus mystérieux de formation d’une nouvelle créature dans l’organisme est une unité si intime du corps et de l’âme que l’on comprend bien que cette unité marque de son empreinte l’ensemble de la nature féminine. »[1]

«  Vivre dans sa chair la possibilité d’un autre »

La philosophe Marianne Durano développe l’idée d’une « philosophie de la maternité et de l’expérience du corps féminin » : « Si l’on définit la vérité comme l’adéquation de l’esprit au réel, du vécu à la vie, alors l’accouchement est l’épreuve de vérité par excellence. C’est en devenant mère que j’ai compris pour ainsi dire charnellement ce qu’étaient la succession des générations, la nécessité de la mort, l’énormité d’une vie qui surgit à partir du néant, la complexité de ma personne, indissociablement corps et esprit, la faiblesse, l’amour et la durée. »[2] Elle ajoute qu’être une femme, c’est vivre dans sa chair la possibilité d’un autre qui, virtuel ou réel, scande le devenir de celle-ci.

Le « théoricien » de la féminité, Jean-Paul II, dans sa Lettre Apostolique Mulieris Dignitatem, ébauche les contours de cette mission particulière de la femme : « La force morale de la femme, sa force spirituelle, rejoint la conscience du fait que Dieu lui confie l’homme, l’être humain, d’une manière spécifique. » Jean-Paul II reconnaît clairement que « c’est la femme qui ‚ paie ‘ directement le prix de cet engendrement commun où se consomment littéralement les énergies de son corps et de son âme. Il faut donc que l’homme ait pleinement conscience de contracter une dette particulière envers la femme, dans leur fonction commune de parents. Aucun programme de ‚ parité des droits ‘ des femmes et des hommes n’est valable si cela n’est pas pris en compte d’une manière tout à fait centrale. »[3]

Si l’égalité en dignité et en droits a été heureusement affirmée par les lois nationales de nos pays occidentaux, on observe cependant une déformation de l’identité féminine décrite plus haut. En effet, force est de constater une dérive idéologique de cette vision de la femme qui pourrait mener au « désenfantement » de l’humanité et à la disparition de la spécificité féminine. Tout en reconnaissant la nécessité et la légitimité des enjeux d’égalité homme-femme, il devient apparent que le féminisme des années 60 nous a mené trop loin : en donnant un rôle central à la sexualité pointée du doigt comme la principale source d’oppression de la femme, la théorie de « libération de la femme du patriarcat multi-millénaire et de l’esclavage de la maternité » teintée de libéralisme et d’existentialisme, a conduit à libérer les identités sexuelles des normes morales et de la complémentarité des sexes. Imprégnées de relativisme et d’individualisme, les femmes exigent dorénavant indépendance et liberté sexuelle. La femme devient dès lors la concurrente de l’homme et aspire à l’autonomie, au détriment même du socle familial lieu privilégié de l’expérience de la différence des sexes et des générations.

Féminisme, « Gender », Transhumanisme

La transformation profonde des femmes de notre siècle est, en réalité, le fruit de trois agendas politiques imbriqués les uns dans les autres, qui pourrait mener à la création d’une « Femme 2.0 », un individu de genre neutre, « augmenté » et sans filiation.

L’agenda politique du féminisme radical des années 60, celui du « Mon corps m’appartient » s’appuie sur la manipulation technologique de la fécondité des femmes par la contraception, l’avortement, la procréation médicalement assistée avec don de gamètes, la gestation pour autrui et à terme, l’utérus artificiel. Les conséquences majeures de cet agenda politique sont entre autres, une concurrence accrue entre hommes et femmes sur des plans économique, comportemental et physiologique, une augmentation de la violence des femmes et paradoxalement, la création d’un marché des sous-produits procréatifs du corps féminin : vente d’ovocytes, du sang menstruel, de son lait maternel, location de son utérus…

Et au nom de l’égalité des genres s’appuyant sur l’agenda politique du « Gender », certaines personnes de la communauté LGBT[4] réclament, de manière contradictoire avec les revendications féministes, le « droit » à la maternité en tordant la filiation par le truchement de la technologie procréatique, et demandent d’avoir accès à l’allaitement et à la grossesse au masculin.

Le transhumanisme, dernier agenda politique en cours de mise en œuvre, conduit à une transformation encore plus dangereuse et sans retour : cette philosophie, non contente d’abolir la mort, désire créer un être nouveau de toute pièce. Et cet être n’est plus ni homme ni femme. Les technologies NBIC[5] pourraient ainsi marquer la fin de la maternité et imposer par eugénisme social, un individu de genre neutre, « augmenté » et sans filiation, dans laquelle on ne pourra reconnaître un homme ou une femme.

Alors, que proposer face à la menace de la perte d’identité féminine et du possible désenfantement du monde ? Et si l’antidote fondamental consistait en une acceptation de la contingence biologique et de la vulnérabilité de la vie humaine, doublée d’un humanisme technologique permettant de combiner progrès et respect de l’identité féminine ? L’émerveillement de la beauté de l’être-femme et de sa complémentarité à l’homme semble alors plus que jamais nécessaire !

 

Au sujet de l’auteur : Laetitia Pouliquen est la fondatrice de WomanAttitude.com. Elle est l’auteur de Femme 2.0: Féminisme et transhumanisme: quel avenir pour la femme?

 

Notes

[1] Edith Stein, Œuvres complètes, ESGA, 13, online: http://www.edith-stein-archiv.de, p. 68

[2] Marianne Durano (2018), Mon corps ne vous appartient pas, Albin Michell

[3] Jean-Paul II (1988), Lettre Apostolique Mulieris Dignitatem, Article 18

[4] LGBT est l’acronyme couramment utilisé pour décrire les genres ou orientations sexuelles ressenties par les tenants de la théorie du « Gender » : Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender…

[5] Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives.