Le procès de l’urgentiste Nicolas Bonnemaison, accusé de l’« empoisonnement » de sept personnes en « fin de vie » dans son service à Bayonne en 2010 et 2011, s’est achevé par un acquittement. En posant des actes qui ont « abrégé » la vie de ces patients âgés, a estimé le jury de la cour d’assises de Pau, il n’avait pas d’intention homicide. Soulager la souffrance quitte à hâter la mort : la loi Leonetti sur la fin de vie l’autorise, mais s’agissait-il donc de cela ?
Le verdict a été accueilli par des applaudissements – « l’enfant du pays » se voyait justifié – mais le Parquet a fait appel. L’avocat général, Marc Mariée, avait requis une peine, modeste : cinq ans d’emprisonnement. Et encore ; le ministère public envisageait de sursis en assurant que Bonnemaison n’était pas un « criminel comme un autre ». Pour la matérialité de ses actes, il encourait la réclusion criminelle à perpétuité. Il existe en effet des protocoles de soins très précis pour les malades à l’agonie. Le Dr Bonnemaison a été poursuivi pour être sorti de ce cadre ; d’avoir provoqué la mort par un dosage disproportionné d’Hypnovel, qui endort, ou par le choix du curare – le Norcuron – un relaxateur musculaire. Administré en fin de vie, il provoque le relâchement musculaire qui à ce stade, est forcément mortel. Aujourd’hui, d’autres médecins réanimateurs avouent à mots plus ou moins couverts s’en servir à l’occasion… C’est pour cela, sans doute, que le Parquet a fait appel de l’acquittement du Dr Bonnemaison.

Dans les sept cas retenus par la justice, ni les malades, ni leurs proches n’ont été consultés. C’est le médecin qui a estimé, seul, que ses patients souffraient trop. Et qui a agi sans rien dire à personne. En cela il n’est pas seulement sorti du cadre des soins palliatifs : il a outrepassé ce que prévoient dans le principe les lois autorisant l’euthanasie, là où elle est légale. Dans les grands médias, les commentaires les plus sérieux ont mis ce point en avant, prenant l’affaire Bonnemaison comme un contre-exemple. De là à dire que l’euthanasie devrait être légalisée, « encadrée » pour éviter ce type d’acte qui, ne tenant aucun compte de la volonté du malade, est désigné comme scandaleux, il n’y a qu’un pas. Ce fut l’attitude du Monde, du Nouvel Observateur et de bien d’autres commentateurs. Le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, l’a affirmé au nom des pouvoirs publics : « Cette décision (…) ne fait que conforter l’idée simple (…) qu’on a une responsabilité de faire évoluer la loi ». En ce sens l’affaire Bonnemaison sert effectivement à promouvoir l’euthanasie, mais en contrepoint, en faisant passer sa légalisation comme une manière de protéger les droits des patients et de leurs proches.

L’affaire interroge également l’interprétation de la loi Leonetti. Jean Leonetti est venu témoigner à la barre du besoin de « collégialité », de son sentiment que le Dr Bonnemaison n’est pas un « assassin », de la responsabilité ultime du médecin qui ne peut faire porter à personne, fût-ce aux proches de l’agonisant, le poids de la décision qu’il va prendre. Un témoignage tout en nuances qui aboutit principalement à anéantir le principe du devoir de respecter la vie.

L’affaire Vincent Lambert a montré au grand jour ce que nous savions déjà : que la loi Leonetti, en autorisant l’arrêt de soins comme l’alimentation et la nourriture en vue de provoquer la mort d’un patient dont la qualité de vie n’est pas au rendez-vous, est une loi d’euthanasie et pas seulement une loi ambiguë. L’affaire Bonnemaison ouvre la porte à une revendication qui va encore plus loin : assurer la qualité de la mort en mettant fin à une agonie supposée invivable, surtout pour les proches.