Dimanche 23 octobre, en Tunisie, s’est déroulée la première manifestation de vote démocratique. Une ouverture qui, jusqu’au 14 janvier dernier, jour de la fugue du dictateur Ben Ali, semblait impossible, et qui a vu la jeunesse tunisienne se manifester comme protagoniste de cette révolution jusque dans ses moments les plus tragiques. En effet, il ne faut pas oublier qu’à partir du 18 décembre 2010, jour où le jeune Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu devant le bâtiment du gouvernement de Sidi Bouzid, les victimes de la Révolution ont été de 467, dont l’écrasante majorité appartient à la plus belle jeunesse tunisienne. Mais qu’est-il resté de ce mouvement populaire indépendant qui a généré la Révolution en quête de “Liberté”, “Démocracie”, et “Égalité” ? Les données les plus éloquentes du cadre politique au jour des élections sont les suivantes : 111 partis politiques officiellement reconnus, dont 81 seulement ont été admis aux élections ; plus de 1.200 listes électorales, pour un total de plus de 10.500 candidats. Le but de la consultation électorale a été de générer un “Parlement Constituant” dans lequel, sur 217 sièges du nouveau Parlement, 18 sont réservés à plus d’un million de Tunisiens émigrés. Le nouveau Parlement Constituant qui sortira des élections nommera également dans les jours prochains un Gouvernement qui restera en charge jusqu’à l’avènement de la nouvelle Constitution.
Apparemment donc, les élections ont été une leçon de Démocratie, menée magistralement par le Premier Ministre Beji Caid Essebsi, âgé de 84 ans. Tout s’est déroulé avec un fort taux de participation (environ 80 % ) et, malgré les longues files d’attente, de façon ordonnée et correcte.

En revanche, par rapport aux valeurs proposées par le peuple qui a fait la Révolution, la Tunisie est passée à une expérience démocratique inédite caractérisée par une véritable jungle électorale dont l’interprétation est difficile. Tout ceci a causé un enregistrement sur les listes des “ayant-droit au vote”, – enregistrement prévu comme obligatoire par la Constitution actuelle -, d’un peu moins de 3,9 millions de Tunisiens, sur un total de 7,5 millions d’électeurs potentiels (soit 55 %). Il faut ajouter à ce chiffre, qui est en soi éloquent quant à la façon dont le peuple tunisien a réagi aux instances politiques, que 40 % des votants n’avait pas encore décidé jusqu’à la veille des élections pour qui voter. Sur cette base de confusion généralisée est venue se greffer l’objectif politique des consultations qui, au mépris des valeurs de la révolution tant applaudies, a été complètement transformé en une compétition sur le rôle que la “religion” aura sur la vie publique du Pays. Dans cette première phase d’ouverture à la Démocracie a en effet émergé la stature politique de Rachid Ghanouchi, le Leader incontesté d’Ennahda. La Constitution de 1959 définissait la Tunisie comme un « État Musulman », mais limitait le rôle de la religion à la sphère politique et juridique. Il aurait donc suffi de programmer pour la campagne électorale le choix entre une République Présidentielle ou une République Parlementaire.

Rachid Ghanouchi, allant à l’encontre du bon sens commun et aux choix de politique économique et de développement jugés comme prioritaires pour combattre la pauvreté et le chômage qui asphyxient de plus en plus le pays, est parvenu en très peu de temps à imposer l’héritage religieux comme déterminant pour le choix du nouveau Parlement, faisant de la confrontation entre les partis laïcs et les partis islamistes l’argument privilégié de la dialectique électorale. Ainsi, le résultat des élections voit comme unique vainqueur le parti islamiste d’Ennahda, avec plus de 40 % des voix. Notamment, le vote des Tunisiens à l’étranger a déterminé l’assignation de 9 sièges sur 18 au parti islamiste. Ce qui signifie que 50 % de plus du million de Tunisiens résidant à l’étranger a voté Ennahda. Et parmi eux, presque 600 000 résident en France, et 180 000 en Italie.

Sans faire aucune sorte d’évaluation politique des élections en Tunisie, qui de toute façon sera argumentée en confirmant les ouvertures annoncées aux autres partis politiques faites au cours de la campagne électorale par le leader Ghanouchi, les chiffres “européens” confirment la forte propension des émigrés de religion “musulmane” à conserver leur propre culture de fond intacte et exempte de toute forme de processus d’intégration, tellement souhaité par contre par les nations qui les hébergent.

Le vote des Tunisiens à l’étranger confirme le paradygme annoncé au cours de ces derniers mois : on assiste à une invasion pacifique de l’Europe par les musulmans du front d’Afrique du Nord. Les Egyptiens, les Tunisiens, les Marocains et tous ceux qui arrivent en Europe ne font preuve d’aucune volonté de s’intégrer dans le tissu social qui les entoure. Le fait d’être “musulman” prend toujours chez eux le dessus. Les émeutes des banlieues parisiennes ne sont qu’un exemple de cette “volonté” de ne pas s’intégrer, de même pour les innombrables épisodes de violences commises chaque jour contre de jeunes musulmanes, immigrées en Europe, par leurs maris qui, en dépit de toute invitation à s’intégrer, continuent à manifester massivement leur appartenance à l’islam et à la loi coranique.

Le fort “sentiment identitaire” qui caractérise les communautés musulmanes, surtout celles qui vivent à l’étranger par rapport à leur nation d’origine, est donc aussi un motif d’union contre les discriminations dont ils font l’objet, surtout en France.

Pour les Tunisiens notamment, contre toute attente, Ennahda a représenté la “volonté de réémerger” : c’est à dire a été un signal fort d’identité renouvelée, mais également un trait d’union avec la Mère-Patrie.

Pour l’Europe donc, ces élections devraient être un nouveau signal, une nouvelle incitation à réévaluer ses racines culturelles, dans un appel renouvelé à l’unité sous la bannière de l’identité nationale.

Pour la Tunisie, face à la victoire indiscutée d’Ennahda, il reste néanmoins un doute sur comment cette nation se comportera face à la Déclaration des Droits de l’Homme, signée à l’ONU, mais pas encore ratifiée par le Parlement tunisien, notamment en ce qui concerne le contenu de l’art. 15 sur l’égalité des droits de l’homme et de la femme. De même, toujours dans le droit de la famille, la Tunisie n’a toujours pas signé la convention de l’Aia sur l’“enlèvement de mineurs”, alors qu’en revanche elle a adhéré à la Convention de New York de 1989 sur les droits des enfants. Thèmes que M. Ghanouchi n’a aucunement abordés lors de sa campagne électorale, mais qui obscurcissent l’image de la Tunisie au niveau international.
Les choix qu’à brève échéance le nouveau gouvernement “islamiste” tunisien devra faire ne sont donc pas seulement une question de politique sociale ou d’économie interne, mais impliquent toujours plus le rôle de la Tunisie même dans le contexte international. (F. G.)

(Correspondence européenne 242/02)