Aujourd’hui, les droits de l’Homme figurent parmi les concepts les moins compris dans la sphère politique. Ils sont désormais une arme utilisée par les partis de gauche contre les libéraux afin d’accroître le pouvoir de l’État et des institutions internationales, de réduire la liberté des citoyens et d’affaiblir la démocratie. Or, c’est précisément l’inverse que visent les droits de l’Homme : limiter le pouvoir de l’État, accorder des libertés considérables aux citoyens et renforcer la démocratie. Qu’est-ce qui a dégénéré ?

Par Lukas Weber

L’origine des droits de l’Homme est assez complexe et ancienne. Cependant, l’élément déterminant permettant d’expliquer l’importance qu’ils ont aujourd’hui est la doctrine judéo- chrétienne de la ressemblance de l’homme avec Dieu, c’est-à-dire l’idée selon laquelle l’homme est une image de Dieu. La dignité unique de l’être humain et sa position dominante sur la nature en découlent, de même que son statut en tant que personne, accordé uniquement à l’homme et à aucun autre être vivant. C’est sur ce fondement que reposent les droits de l’Homme ; sans lui, ils perdraient, à plus ou moins long terme, leur validité et leur reconnaissance générales.

Liberté et droits de l’Homme

La première définition moderne des droits de l’Homme se trouve dans la Déclaration d’indépendance des États-Unis de 1776. Elle prônait le droit « à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur », le fondant directement sur une référence à Dieu. Cette déclaration précise en outre que le pouvoir de l’État découle du consentement du peuple tout en introduisant le droit de changer la forme de gouvernement si la forme existante compromet la réalisation des objectifs initiaux.

À l’instar du texte américain, la Déclaration française des Droits de l’Homme et du Citoyen, de 1789, part du principe que les droits de l’Homme ne sont pas des droits individualistes, mais des droits inhérents au peuple, et qu’ils sont les conditions préalables à tout gouvernement légitime. L’article 3 détermine ainsi la Nation (le peuple) comme l’origine et la seule garante du pouvoir de l’État.

La troisième source reconnue des droits de l’Homme modernes est la Déclaration universelle des droits de l’Homme proclamée en 1948 par les Nations Unies. Elle contient 30 articles et couvre de très nombreux domaines. Elle porte non seulement sur des libertés civiles, telles que le droit à la vie, la protection contre toute ingérence arbitraire dans la vie privée ou le droit à la liberté de conscience, de religion, d’opinion et d’expression, mais également sur des droits sociaux, tels que le droit à la sécurité sociale, au travail, au repos et à un niveau de vie suffisant pour garantir la santé et le bien-être. Les droits de l’Homme définis par l’ONU ont été inclus dans la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), signée en 1950 par les États membres du Conseil de l’Europe.

Qu’est-ce que les droits de l’Homme ont apporté ?

Premièrement, avec la définition des droits de l’Homme, la notion d’être humain s’est imposée. En général, les sociétés traditionnelles soumettent l’individu à la communauté. Ce n’est que dans la conception chrétienne et, plus tard, libérale que l’être humain est considéré comme un individu doué de raison et appelé à être libre. En tant que personne, l’homme n’est pas un moyen permettant d’atteindre un but, mais une fin en soi. Et c’est en ce sens qu’il jouit de sa dignité.

Deuxièmement, les droits de l’Homme ont érigé le peuple en tant que souverain, c’est-à-dire en tant qu’autorité suprême de l’État, et ont ainsi désigné la démocratie comme étant la norme parmi toutes les formes d’État. S’il n’y a rien dans le monde qui soit, par essence, supérieur à l’être humain – chaque être humain! – alors il ne peut y avoir quelqu’un qui, par nature, doit dominer un peuple. C’est pourquoi, dans les démocraties, les fonctions gouvernementales sont en principe conférées à l’issue d’élections par le peuple, puis retirées automatiquement au terme du mandat. Dans les pays où ce n’est pas le cas, cela signifie que la notion d’être humain ne s’est pas encore imposée et que les droits de l’Homme ne sont qu’une promesse en l’air.

Troisièmement, les droits de l’Homme ont permis de restreindre le pouvoir de l’État de sorte que la notion d’être humain (la dignité de chaque individu) et la démocratie (gouvernement par le peuple) sont garanties. C’est dans cette tradition, qui établit un lien direct entre les droits de l’Homme et la souveraineté du peuple, que s’inscrit l’initiative pour l’autodétermination, qui sera soumise au vote à l’automne 2018. Cette dernière exige qu’en cas de litige ce soit le Parlement et le Tribunal fédéral suisses qui décident de l’application et de l’interprétation des droits de l’Homme, et non des tribunaux internationaux éloignés du peuple et qui ne rendent de comptes à personne.

Attaques contre les droits de l’Homme

Les droits de l’homme sont aujourd’hui en grand danger. Premièrement, l’un des dangers évidents est qu’ils soient étendus à d’autres champs d’application. Sous la pression du politiquement correct, qui est déjà en lui-même une atteinte à la liberté d’expression, le respect naturel dû à chaque être humain s’applique de moins en moins à sa personne en tant que telle, mais à certaines caractéristiques comme sa race, son sexe ou son orientation sexuelle. Il s’agit là d’un retour en arrière, avant l’introduction des droits de l’homme, lorsque les droits conférés aux individus – si tant est qu’ils en avaient – reposaient uniquement sur des caractéristiques spécifiques, telles que leurs origines familiales, leur statut social ou leur richesse. Or, l’introduction des droits de l’Homme visait précisément à abolir les privilèges fondés sur des aspects spécifiques de la personnalité. Les droits économiques et sociaux inclus dans la Charte des Nations Unies ont déjà élargi la notion de droits de l’Homme. Ces droits n’ont rien à voir avec les droits de l’Homme, la richesse et le mode de vie étant des qualités humaines graduelles et, dans l’absolu, aléatoires, qui ne sont pas fondamentales comme celles caractérisant tout être humain, y compris les personnes mineures, handicapées ou malades.

Deuxièmement, un autre danger menace les droits de l’Homme : celui de la relativisation culturelle. Les droits de l’Homme sont en effet le fruit d’une civilisation judéo-chrétienne spécifique, issue de l’Antiquité gréco-romaine. L’universalisation des droits de l’Homme ne doit pas effacer leur origine, tout en les mettant à la portée de toute l’humanité. Restreindre les droits de l’Homme aux seules nations occidentales met à mal l’idée selon laquelle les droits de l’Homme sont pour tous les êtres humains et finit par affaiblir leur reconnaissance dans leur culture d’origine, à savoir l’Occident.

Troisièmement, cela aboutit à ce qui constitue probablement la plus grande menace pour les droits de l’Homme : l’affaiblissement de leurs fondements idéologiques, à savoir la civilisation judéo-chrétienne, précisément là où ils ont été conçus et développés, c’est-à-dire en Europe et aux États-Unis. À l’ère de la laïcisation de la société et de la dissolution du fondement de la foi judéo-chrétienne, les attaques d’une civilisation étrangère sûre d’elle – comme l’islam – ne sont même pas nécessaires pour affaiblir et, en définitive, faire disparaître le système juridique et le sens de la justice auxquels les droits de l’Homme ont jadis donné naissance.

Préserver les droits de l’Homme

En ce qui concerne les menaces qui pèsent aujourd’hui sur les droits de l’Homme, ce qui est paradoxal, voire absurde, c’est que ce sont précisément ces forces de gauche, qui s’érigent en gardiennes des droits de l’Homme, qui les affaiblissent à travers leur expansion, leur relativisation et leur dissolution. La situation deviendra tragique si les forces libérales, qui défendent la définition initiale des droits de l’Homme, gardent le silence sur ce sujet. Elles ont intérêt à se mobiliser avec force en faveur des droits de l’Homme tels qu’ils ont été imaginés à l’origine, à les protéger de toute forme d’aliénation, d’affaiblissement et de suppression par de faux amis et à les préserver pour le bien du peuple et de l’humanité tout entière.

 

Lukas Weber est un journaliste indépendant, qui a étudié la philosophie sociale et la politique. Marié et père d’un enfant, il vit à Fribourg, en Suisse.