Le rejet par les Suisses du Revenu de Base inconditionnel (RBI) lors d’une votation qui s’est tenue de 5 juin dernier n’a pas eu beaucoup d’écho dans les médias. Il s’agit de la première confrontation entre cette « vieille idée marxiste» de l’allocation universelle et une population européenne s’exprimant librement sur le sujet. Les électeurs suisses ont rejeté à 76,9 % des voix sur un taux de participation de 46% la proposition d’accorder à tout citoyen suisse et tout résident en Suisse une allocation mensuelle inconditionnelle de 2 500 francs suisses (2 260 euros) et 650 francs suisses (560 euros) à chaque mineur. Les Suisses qui avaient déjà en 2012 refusé de faire passer leurs congés payés de 4 à 6 semaines, ont encore une fois fait entendre la voix du bon sens.

Cependant, il serait imprudent de considérer l’idée comme morte et enterrée. Ses partisans ne désarment pas pour autant. Ils veulent que l’Etat accorde à tout citoyen une allocation universelle dont le montant varie de pays en pays et qui permette à chacun de vivre « dignement » et de se lancer dans des activités qui ne sont pas nécessairement lucratives. Ils promettent en outre de faire baisser le taux de chômage par cette mesure. L’allocation universelle remplacerait toutes les autres allocations et aides de l’Etat-providence de sorte que, selon eux, son  financement ne devrait pas être un problème. Pour d’autres, le financement est un problème et ils proposent de nouvelles taxes (par exemple, la taxe sur les transactions électroniques).

On peut se demander si cette nouvelle avancée de l’Etat-providence est réellement justifiée. Jusqu’ici l’Etat a prétendu servir une certaine justice sociale en se portant au secours de ceux qui en ont besoin (les chômeurs, les familles, les malades, les pensionnés, etc.). L’allocation universelle n’annule pas le principe de l’intervention de l’Etat, mais l’applique de façon non différenciée en accordant à tous la même allocation. Est-ce un progrès en matière de justice sociale sachant que désormais même des gens qui n’ont pas besoin du secours de l’Etat deviendraient allocataires ? De plus, cette allocation est inconditionnelle, ce qui signifie qu’un handicapé ou une mère de famille nombreuse ne recevrait pas davantage qu’un célibataire en parfaite santé ou qu’un condamné pour fraude fiscale.

L’allocation s’inscrit bien dans la logique de l’Etat-providence par une tentative de rendre tout le monde dépendant de l’Etat. En réalité, ceux qui jouiront d’un revenu professionnel ne le seront pas, mais ils devront payer un impôt sur le revenu qui servira à financer l’allocation de leurs voisins qui ont décidé de ne pas travailler. Il faudra s’attendre à l’augmentation de la fraude fiscale. On ne voit pas bien ce que vient faire ici l’argument d’une vie « plus digne ». Quel accroissement de dignité y a-t-il à vivre en parasite de ceux qui travaillent ?  De plus, a-t-on mesuré le danger de donner à l’Etat un tel moyen de pression sur ceux qui le dérangent et qu’il pourrait menacer de suspendre le versement de l’allocation ? Encore une fois, ce moyen de pression ne serait efficace que pour les plus pauvres ou les plus dépendants.

Enfin, l’allocation universelle n’a pas été considérée sous le rapport de l’inflation. Accorder à tout le monde une augmentation de revenu de 600 ou 1 000 euros (selon les chiffres donnés en Belgique) ne change en fait rien. Du moment que cette augmentation est générale, elle provoquera immanquablement une augmentation de la consommation et, par conséquent, une poussée inflationniste des prix. Au final, le pouvoir d’achat de la population resterait inchangé car tout serait plus cher qu’avant. Le mendiant resterait mendiant, celui qui a de la peine à boucler ses fins de mois resterait dans ses difficultés et celui qui a plus qu’assez pour vivre ne sentirait pas le changement. Bref, tout redeviendrait comme avant avec des prix plus élevés.

Source: www.correspondanceeuropeenne.eu