Nos sociétés occidentales prônent la lutte contre toutes les formes de discrimination. Toutefois, l’une d’elles demeure bien invisible : celle qui vise les personnes âgées, surtout les hommes. L’exemple des réactions à l’occasion d’un rassemblement politique en France démontre ce phénomène.   

« C’est terrible ! Un petit vieux est en train de mourir dans l’indifférence générale ! » Voici le genre de lourde ironie que nous avons pu découvrir sur Twitter … à l’occasion du premier grand rassemblement du nouveau parti politique de Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre. Plusieurs personnalités politiques françaises de gauche étaient présentes, dont l’ancien président François Hollande. Bernard Cazeneuve espérait réaliser un coup de force avec son parti La Convention, mais les critiques ont fusé. Les personnalités présentes étant très majoritairement de vieux hommes blancs, elles ont été impitoyablement moquées. Irène Tolleret, membre de La République En Marche et députée européenne, Sandra Regol, secrétaire nationale adjointe d’Europe Écologie Les Verts et députée française, ainsi qu’Alma Dufour, députée française de La France Insoumise, y sont allées de leurs commentaires acerbes. Mais comme ils visaient des vieux mâles, personne ne semble s’alarmer.

Nous avons interrogé Roger Deneys. Ancien député socialiste au Grand Conseil genevois, il est aussi membre du comité d’AVIVO (association ayant comme objectif central la défense des vieillards, des invalides, des veuves et des orphelins). Il observe dans notre société « un réflexe de dire qu’il faut laisser la place aux suivants », mais estime « que ça peut creuser un vrai fossé entre les générations ». Il admet que « la gauche en tous cas, ne donne pas une très bonne place aux personnes âgées dans le système politique ». Toutefois, les critiques émises à l’encontre de ces vieux hommes blancs « sont aussi le reflet de l’évolution démographique de notre société : les femmes étaient moins engagées en politique autrefois alors que les personnes âgées d’origine étrangère sont encore minoritaires ».

Un sentiment de jalousie

Selon lui, il est aussi possible d’expliquer cette discrimination parce qu’« une majorité de personnes âgées ont bénéficié des Trente Glorieuses, qui étaient très favorables, de telle sorte qu’aujourd’hui on les voit bien vivre, et profiter de privilèges que les générations plus jeunes n’ont pas ». Et de proposer cette hypothèse : « Les vieux hommes blancs ont dominé la société pendant longtemps et on veut leur expliquer que ça ne fonctionne plus ainsi ». Toutefois, il se distancie de cette idéologie et déplore « qu’aujourd’hui, dans nos sociétés contemporaines, il faille être une femme pour représenter les femmes, un LGBT pour représenter la communauté LGBT ou un jeune pour représenter les jeunes ». Ainsi, la vision dominante consiste à affirmer que les vieillards ne peuvent plus représenter la population dans son ensemble.

L’âgisme – terme employé pour définir la discrimination selon l’âge – opère dans ce cas de façon tout à fait évidente. Pourtant, cette thématique est largement méconnue au sein de la population. Cette discrimination semble être tolérée, car personne ne s’insurge réellement. Roger Deneys estime d’ailleurs « qu’il manque un vrai lobby pour défendre les personnes âgées ». Les moqueries envers le rassemblement de Bernard Cazeneuve démontrent en tout cas que, si la société se bat pour les droits des femmes, des communautés LGBT et des minorités ethniques, l’humiliation des individus par rapport à leur âge semble avoir encore de l’avenir.

Un article publié en 2019 par Christian Maggiori et Jean-François Bickel, professeurs de la Haute école de travail social de Fribourg, indique que l’âgisme est largement sous-estimé et que cette forme de discrimination est, en réalité, davantage présente que le racisme ou le sexisme. À se demander si notre société cherche réellement à combattre toutes formes de discrimination, ou uniquement celles qui sont porteuses.

Source : www.partager.io