Depuis 30 ans l’association Exit Suisse romande propage le suicide assisté comme un « droit de mourir dans la dignité » et compte aujourd’hui 16’700 membres. Son organisation jumelée en Suisse alémanique compte même 58’000 membres. Le nombre de suicides assistés par les organisations Exit et Dignitas en Suisse en 2011 est de 576, ce qui représente une augmentation de 131 cas par rapport à 2010. Ces chiffres ainsi que des sondages actuels montrent que l’assistance organisée au suicide n’est plus un tabou dans notre société. Mais comment est-ce qu’on a pu en arriver là ? Nous avons sans doute affaire à une nouvelle vision de la vie. Pour beaucoup de nos concitoyens comme pour Exit la vie ne représente plus une valeur sacrée. Elle vaut d’être vécue aussi longtemps que nous sommes capables de jouir de la vie en toute autonomie. La dignité de l’Homme n’est rien d’autre que sa capacité à l’autodétermination. Or si on regarde de plus près on découvre que cette vision de la vie est réductrice, car elle ne tient pas compte du fait que le bonheur de ma vie dans son ensemble dépend dans une grande partie des décisions de mes proches. On pense par exemple à un bébé qui dépend des soins de ses parents pour survivre.
Cette mise en question de la valeur sacrée de la vie trouve d’ailleurs sa confirmation dans le fait qu’Exit ne propose l’assistance au suicide qu’aux personnes ayant reçu un pronostic fatal, souffrant d’une maladie incurable ou d’une invalidité complète. Ce qui à première vue semble sérieux est en effet un jeu très dangereux. Car c’est par cette voie que sont introduits et appliqués des critères prétendument rationnels pour juger d’un désir de suicide. Il est toutefois à craindre que dans une société qui accepte ce genre de critères la pression augmente pour les appliquer aussi sans la volonté explicite du malade. La situation dans les Pays-Bas en livre la preuve. Une étude réalisée sur ordre du gouvernement a montré que dans 20 pour cent des cas d’euthanasie active directe – on parle alors de 982 cas en 2001 – il n’y a pas eu de consentement de la part du malade.

Le risque que représentent les organisations d’aide au suicide face à la modification de la pyramide des âges et à la proportion croissante des personnes ayant besoin de soins est évident, comme l’a relevé la Commission nationale d’éthique dans sa prise de position « L’assistance au suicide » de 2005 : « Divers modes de dépendances peuvent exister, financière, par exemple envers sa famille, ou physique, lorsque l’on dépend d’autrui pour les soins. Ce sentiment de dette peut induire des démarches suicidaires. » Le droit à l’aide à mourir risque ainsi de se transformer en un devoir de mourir. C’est surtout à cause du relâchement des liens de solidarité dans la société que surgit le désir de suicide parmi ses membres les plus faibles.

Une aide au mourir digne de ce nom

Comme le relève le philosophe allemand mondialement connu Robert Spaemann en 2005 dans la Stuttgarter Zeitung, « le plus souvent le désir de suicide n’est pas l’expression de grandes douleurs physiques, mais d’un énorme sentiment d’abandon. Saufs s’ils sont maladifs, ces désirs disparaissent presque toujours dès que quelqu’un – et même un médecin – montre un intérêt sincère pour ce que vit le malade. Mettre l’accent sur une autodétermination fictive dans une situation d’extrême faiblesse et d’autonomie restreinte n’est qu’un prétexte cynique pour se soustraire à ses responsabilités humaines. En effet, dans des moments de grande souffrance, le malade a surtout besoin d’écoute, de compassion et de l’apaisement de ses douleurs ». Spaemann indique ainsi le chemin vers une aide à mourir digne de ce nom. Nos malades sont prêts à mourir non d’une main technique, mais en tenant une main compatissante.

Or la politique suisse de ces dernières années n’a pas poursuivi cet objectif avec toute la fermeté souhaitable. Certes, le Conseil fédéral a décidé en juin 2011 de continuer à promouvoir la prévention du suicide et à encourager la médecine palliative. Mais au lieu d’interdire par une loi des organisations comme Exit, le gouvernement y renonce par crainte que leur statut légalisé « pourrait avoir un effet incitatif. » La passivité du gouvernement nous laisse d’autant plus perplexes quand il dit dans son communiqué de presse: «Cette légitimation enverrait à la population le message selon lequel certaines vies sont dignes de protection et d’autres non, ce qui relativiserait l’intangibilité de la vie humaine. »

Dominik Lusser