La justice peut être subtile. Mais un tribunal a-t-il le droit d’appliquer deux mesures aux dépens des enfants à naître? Un arrêt récent du Tribunal fédéral en dit long sur des valeurs qui s’infiltrent dans notre État.

Par David Gysel

«Après le temps d’essai, l’employeur ne peut pas résilier le contrat … pendant la grossesse …» Ces mots sont clairs et nets dans l’article 336c du Code des obligations. Mais à quel moment commence la grossesse? Cette loi ne le définit pas, pas plus que la Loi fédérale sur l’assurance-maladie ou encore la Loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales. Néanmoins, le Tribunal fédéral affirme dans l’arrêt 4A_400/2016 du 26 janvier 2017: «La doctrine unanime reconnaît que le début de la grossesse coïncide avec la fécondation.» Pour continuer dans le même arrêt: «À noter que la notion de grossesse (en particulier son point de départ) contenue à l’art. 336c al. 1 let. c CO revêt un sens différent de celle utilisée dans le Code pénal (art. 118 à 120 CP).» Surprise pour celui qui consulte ces articles du Code pénal: ils ne définissent pas non plus le début de grossesse. Mais le Tribunal fédéral l’a deviné: «Pour le droit pénal, la grossesse débute non pas au moment de la fécondation, mais lors de l’implantation de l’ovule fécondé dans l’utérus (ou nidation).» Le Tribunal applique un critère sans faille: «En matière pénale, l’interprétation donnée à la notion de grossesse (et en particulier à son point de départ) a pour but de ne pas soumettre au champ d’application des art. 118 ss CP les méthodes contraceptives faisant obstacle à la nidation de l’ovule fécondé …»

La femme est enceinte selon le droit du travail et elle n’est pas enceinte selon le Code pénal. Le philosophe et sociologue Dominik Lusser, collaborateur de la fondation Futur CH, l’a bien noté dans le journal ideaSpektrum: Par une astuce dans la définition des termes, appliquée uniquement dans une partie du droit et non pas dans le droit du travail, «on déclare qu’une certaine intervention serait une contraception même si elle est en fait un avortement». La justice viole selon Lusser «le principe fondamental de toute pensée et de toute science selon lequel quelque chose ne pas être et ne pas être en même temps». Les tribunaux se perdront dans des contradictions quand ils se mettent «à justifier ce qui n’est pas justifiable» et cherchent «à sauver l’apparence trompeuse de la justice».

Source: Inpulsion 3/2017