Les Occidentaux semblent plus préoccupés par une possible destruction des vestiges archéologiques de Palmyre que par les dizaines de milliers de victimes que l’Etat islamique a faites et fera encore s’il en venait à prendre Damas. Un concert d’indignation a accompagné la prise de Palmyre. Mais la déportation, la persécution ou la mort des victimes de l’Etat islamique ont comparativement provoqué plus d’indifférence. De la même façon, il se trouve relativement peu de voix pour blâmer la mollesse et l’inefficacité de la coalition face aux avancées de l’Etat islamique. Comme toujours les commentaires sont très superficiels. On ne sait pas au juste qui arme l’Etat islamique ni d’où viennent ses moyens financiers.Entretemps l’Etat islamique est en train de devenir réellement un Etat. Il entretient une armée de 25 000 combattants qui inclut des anciens officiers baathistes et des vétérans d’Al-Qaïda. Il contrôle un vaste territoire couvrant un tiers de la Syrie et un tiers de l’Irak ; il a son administration, sa fiscalité, son système judiciaire, ses écoles et ses ressources financières dont une part provient de champs pétroliers. Le financement de l’armée reste cependant obscur. L’Arabie saoudite a été citée comme probable sponsor. Si c’est le cas, l’engagement des Etats-Unis, alliés de l’Arabie saoudite, devrait poser problème. La question n’est pas posée. En 2012, des documents déclassifiés par voie judiciaire montraient que la Defense Intelligence Agency américaine souhaitait déjà l’apparition d’un Etat islamique à l’est de la Syrie. Le rapport de la DIA déclarait : « l’Occident, les pays du Golfe et la Turquie soutiennent l’opposition et la possibilité d’établir un émirat salafiste officiel ou pas dans l’est de la Syrie (Hasaka et Der Zor) et c’est exactement ce que veulent les forces qui soutiennent l’opposition afin d’isoler le régime syrien ». La duplicité de l’administration américaine semble confirmée par la publication de ces documents. La mollesse de sa riposte militaire s’explique mieux. Les frappes aériennes servent à tranquilliser l’opinion et à faire quelque chose, mais pas à stopper ou détruire l’Etat islamique, ce qui aurait été facile au début de son développement.
L’absence de vision stratégique à long terme et l’ignorance de ce qu’est réellement l’islam trouvent ici une tragique confirmation. Les Etats occidentaux ne voient dans l’Etat islamique qu’un moyen de nuire à la Syrie et à l’Iran, deux Etats musulmans non alignés sur le sunnisme saoudien et qui de plus sont alliés à la Russie. Lorsque la Syrie sera rayée de la carte, ils voient peut-être l’Etat islamique se retourner contre l’Iran et faire ainsi le travail à leur place. Ils croient peut-être qu’ils pourront, le moment venu, écraser l’Etat islamique sous leurs bombes… A vrai dire, cette stratégie manque singulièrement de perspective. Elle est d’autant plus faible qu’elle est continuellement détournée des vrais intérêts nationaux des puissances qui y participent par l’interférence d’intérêts étrangers : le pétrole, l’industrie de l’armement, l’Etat d’Israël, etc. Si Damas tombe, la situation du Proche-Orient sera plus compliquée, pas plus simple, car elle présentera un déséquilibre des puissances en faveur du sunnisme. Après la Syrie, de plus petits Etats risquent de disparaître (Liban, Jordanie, Koweit) et l’Etat d’Israël sera plus directement menacé. Un conflit avec l’Egypte, la Turquie, l’Iran deviendra plus probable. C’est une forme de redistribution des cartes sur moins de joueurs. Il en résultera un plus grand risque de conflit.

http://www.correspondanceeuropeenne.eu/2015/06/10/proche-orient-letat-islamique-progresse-rapidement/

Christophe Buffin de Chosal