La distanciation sociale a au moins le mérite d’amener le sujet de la solitude dans le débat public. L’isolement, un risque pour la santé ? Le petit village de Roseto, en Pennsylvanie, comptait en 1961 proportionnellement moitié moins de malades du cœur que dans le reste de l’Amérique, et son taux de mortalité pour cause d’autres pathologies était inférieur de 35 % à la moyenne nationale. Une bonne partie des habitants accusant un surpoids et aimant boire et fumer, on ne pouvait rattacher les heureuses statistiques à un quelconque « mode de vie sain ». En revanche, la particularité de Roseto, c’était sa vie sociale. Ses habitants, descendants d’immigrés italiens, appréciaient les grandes tablées, et il n’était pas rare que plusieurs générations vivent sous le même toit. Les aînés jouissaient d’un grand respect ; dans cette paroisse vivante, on allait à la messe avec assiduité ; on partageait les joies et les peines, chacun se sentait appartenir à la communauté.

Mais en 1974, le quotidien « Die Zeit » intitulait un article consacré à Roseto « La fin d’un miracle ». Le petit village n’avait pu se soustraire aux transformations de la société. Des emplois intéressants à l’extérieur donnaient désormais accès à des loisirs plus chers, plus loin. Les gens, pris dans l’agitation quotidienne, n’avaient plus le temps de rester de longues heures assis autour d’une table. La vie sociale s’effilocha, les liens familiaux se relâchèrent. C’est ainsi que la moyenne des décès dus aux infarctus rattrapa celle du reste du pays. L’exemple de Roseto montre que la solitude n’a pas seulement des conséquences psychiques. Il confirme ce que disent les médecins depuis longtemps : l’isolement social prédispose aux maladies telles que cancer, infarctus, AVC, dépression ou démence.