Le christianisme est la religion la plus persécutée au monde. C’est pourquoi la notion de « christianophobie » est courante dans le langage des organismes internationaux et régionaux de protection des droits de l’homme. La plupart d’entre eux condamnent souvent à la fois « l’antisémitisme », « l’islamophobie » et la « christianophobie ». Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme utilise les deux premiers termes dans sa jurisprudence mais n’a jamais utilisé le mot de « christianophobie » en tant que tel.

Communiqué de presse du ECLJ

Les traités internationaux et la Convention européenne des droits de l’homme offrent une large protection à la liberté religieuse et à la liberté d’expression, tout en protégeant des actions discriminatoires à l’encontre d’une personne sur la base de la race, de la religion ou du sexe. Par exemple, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques interdit toute discrimination « sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. » (Article 2, paragraphe 1). La Convention européenne des droits de l’homme contient des dispositions très similaires (Article 14 et Article 1 du protocole n° 12).

Les instances de protection des droits de l’homme offrent ainsi des garanties contre la discrimination fondée sur la religion ou l’origine sociale. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a classé la discrimination ou la haine à l’égard de certains groupes déterminés en reconnaissant « l’antisémitisme »[1] et « l’islamophobie »[2] dans sa jurisprudence et dans des documents officiels[3].

Deux poids, deux mesures à la CEDH ?

Si cette classification protège le peuple juif et la foi islamique, la jurisprudence de la CEDH ne comporte cependant pas de terme de ce type pour la discrimination ou la haine contre les chrétiens. Le terme de « christianophobie », pourtant utilisé par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe[4] (APCE), n’a jamais été reconnu par la Cour alors que celle-ci a fait référence à « l’islamophobie »[5], terme également utilisé dans des déclarations de l’APCE. En outre, le « Guide sur l’article 17 de la Convention européenne », publié par la CEDH, énumère l’antisémitisme et l’islamophobie comme des abus de droit interdits par l’article 17 mais omet de mentionner la « christianophobie » ou simplement la discrimination à l’égard des chrétiens[6].

Cette reconnaissance de « l’antisémitisme » et de « l’islamophobie », mais non de la « christianophobie », n’est cependant pas très surprenante pour qui connaît la jurisprudence de la CEDH. En effet, la Cour a récemment confirmé la condamnation d’une conférencière autrichienne pour avoir critiqué le mariage du prophète de l’Islam, Muhammad, avec la fillette de six ans, Aisha[7]. Cependant, elle a approuvé l’exposition d’un tableau représentant Mère Teresa et un cardinal dans différentes positions sexuelles[8] et un concert sauvage blasphématoire des « Pussy Riots » dans le chœur de la cathédrale orthodoxe de Moscou[9]. Une application du « deux poids, deux mesures » qui fut critiqué par plusieurs juristes. Le même principe ne s’applique pas selon la religion : « l’islamophobie » est reconnue, la « christianophobie », non.

Autres organes de protection des droits de l’homme

Contrairement à la CEDH, le terme de « christianophobie » est d’usage courant dans d’autres organsations internationales et régionales de défense des droits de l’homme. Voici ci-dessous quelques références.

Les Nations unies (ONU) :

L’ONU a reconnu à plusieurs reprises l’existence de la « christianophobie » aux côtés de l’islamophobie et de l’antisémitisme. De nombreuses résolutions et rapports de l’ONU reconnaissent l’islamophobie, l’antisémitisme et la christianophobie sous la vaste classification de la discrimination religieuse et ethnique. Par exemple, l’Assemblée générale a qualifié de « christianophobie » la discrimination à l’encontre des chrétiens en raison de leur foi dans la résolution 72/177 relative à la liberté de religion ou de conviction, déclarant que cette même Assemblée « Constate avec une profonde inquiétude que le nombre de cas de discrimination, d’intolérance et de violence visant les membres de nombreuses communautés religieuses et autres dans diverses régions du monde augmente, quels qu’en soient les acteurs, notamment les cas motivés par l’islamophobie, l’antisémitisme, la christianophobie et les préjugés contre les personnes de religion ou de conviction différente »[10]. Cette reconnaissance de la « christianophobie » en tant que source de préoccupations aux côtés d’autres formes de discrimination religieuse et ethnique est fréquente dans les documents des Nations unies, puisque la « christianophobie » est citée dans la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur la lutte contre la diffamation des religions[11], le Rapport de la Conférence d’examen du programme d’action de Durban[12], la résolution de la Commission des droits de l’homme sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction[13], entre autres rapports et résolutions des Nations unies[14]. En outre, le Comité ad hoc sur l’élaboration de normes complémentaires et le Conseil des droits de l’homme en 2009 se sont penchés sur la nécessité de définir et de criminaliser la christianophobie, l’islamophobie et l’antisémitisme dans le droit international des droits de l’homme[15].

Il convient de noter en particulier qu’un rapport de 2007 du Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée[16] a souligné que le fait de se concentre sur la question de l’islamophobie ne signifie pas que la discrimination contre la foi islamique est plus importante que la discrimination contre les autres religions. Au contraire, le Rapporteur spécial a noté que, pour la réussite de tout effort international ou étatique visant à lutter contre l’antisémitisme, la « christianophobie » et l’islamophobie, il faut traiter chaque « phobie » sur un pied d’égalité et éviter tout favoritisme dans la lutte contre cette discrimination[17]. En outre, le rapporteur a noté que les actes relevant de la christianophobie avaient augmenté dans le monde et sont désormais très fréquents en Europe en raison de la laïcité qui a conduit à des formes d’intolérance et de rejet de la religion[18]. En particulier, le rapporteur a noté que la christianophobie en Europe prend souvent la forme d’un rejet de la société face à toute éthique religieuse, se considérant comme seule légitime dans ce domaine[19]. Cette conclusion du rapporteur spécial, ainsi que la reconnaissance de la christianophobie par l’ONU, devraient être convaincantes pour la Cour européenne des droits de l’homme pour reconnaître elle aussi la christianophobie aux côtés des autres discriminations religieuses ou ethniques telles que l’islamophobie.

Organisation des États américains (OEA) :

Les organismes régionaux de protection des droits de l’homme tels que l’OEA ont reconnu la christianophobie aux côtés des deux autres discriminations d’islamophobie et d’antisémitisme. Notamment, le préambule de la Convention interaméricaine contre toutes les formes de discrimination et d’intolérance note l’augmentation de l’intolérance sous la forme de la christianophobie[20].

Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) :

L’OSCE lutte spécifiquement contre les crimes haineux et l’intolérance envers les chrétiens. De nombreuses parties se sont adressées à l’OSCE pour faire valoir l’importance de reconnaître la « christianophobie » afin de traiter efficacement ce problème[21]. Par exemple, l’OSCE a été approchée en 2008 sur l’importance de s’attaquer à l’intolérance contre les chrétiens, sous la forme de la christianophobie, avec le même effort consacré à la lutte contre la discrimination contre les autres groupes religieux[22].

La CEDH devrait-elle reconnaître la christianophobie ?

Le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) considère que la notion de « phobie » n’est pas appropriée pour décrire l’hostilité contre une religion ou contre un comportement humain. En effet, si cette hostilité peut être rationnelle ou résulter d’une conversion, la notion de « phobie » suppose que cette hostilité n’est jamais raisonnablement justifiée et aurait même une origine pathologique.

Cependant, dans la mesure où cette notin est utilisée pour certaines religions par la CEDH, il serait légitime de l’utiliser également pour le christianisme. La protection du christianisme ne devrait pas être inférieure à celle des autres religions.

Au vu de la reconnaissance de la christianophobie par les Nations unies, la CEDH devrait envisager de reconnaître les actes de discrimination visant les chrétiens comme de la « christianophobie » en utilisant une classification similaire à celle qu’elle utilise lorsqu’elle traite de la discrimination contre l’Islam ou des actes d’antisémitisme. En effet, l’intolérance envers les chrétiens est aussi une question européenne : l’APCE a dénoncé en 2015 le fait que : « De nombreux actes d’hostilité, de violence et de vandalisme contre des chrétiens et leurs lieux de culte ont été recensés ces dernières années, mais ils sont souvent insuffisamment pris en considération par les autorités nationales. »[23]

La CEDH aura bientôt une nouvelle occasion d’entériner la notion de christianophobie : elle examinera dans les prochains mois une affaire sur une œuvre artistique anti-chrétienne, Asociación de Abogados Cristianos c. Espagne, dans laquelle l’ECLJ a été autorisé à intervenir en tant qu’amicus curia.

Par Lauren Moustakas, stagiaire en droit pour l’ECLJ et étudiante à Regent University School of Law (VA).

[1] Pavel Ivanov c. Russie (déc.), no. 35222/04, 20 février 2007, « La Cour n’a aucun doute quant à la teneur fortement antisémite des opinions du requérant […] En conséquence, la Cour estime qu’en vertu de l’article 17 de la Convention le requérant ne peut bénéficier de la protection de l’article 10. » Voir également : W.P. et autres c. Pologne (dec.), no. 42264/98, 9 février 2004, §3.

[2] Paksas c. Lituanie [GC], no. 34932/04, 1er juin 2011, § 88 : Abordant plusieurs affaires, la Cour « est parvenue à cette même conclusion dans, par exemple, les décisions Norwood (précitée) et Pavel Ivanov c. Russie (décision du 20 février 2007, no 35222/04), qui concernent l’usage de la liberté d’expression dans des buts respectivement islamophobe et antisémite »Voir également : Leroy c. France, ((déc) no. 36109/03, 2 octobre 2008, § 27 : « le message de fond visé par le requérant ‑ la destruction de l’impérialisme américain ‑ ne vise pas la négation de droits fondamentaux et n’a pas d’égal avec des propos dirigés contre les valeurs qui sous-tendent la Convention tels que le racisme, l’antisémitisme (Garaudy, précité, Ivanov c. Russie (déc.), no 35222/04, 20 février 2007) ou l’islamophobie (Norwood, précité). » Voir également : S.A.S. c. France [GC], no. 43835/11, 1er juillet 2014, § 149.

[3] Cour européenne des droits de l’homme, Guide sur l’Article 17 de la Convention européenne des droits de l’homme – Interdiction de l’abus de droit, 31 août 2019. Notant que parmi les abus interdits par l’article 17 figure l’interdiction pour les demandeurs d’utiliser la Convention pour justifier des actes ou propose islamophobes ou antisémites. En outre, bien que les cas eux-mêmes ne mentionnent pas le terme d’islamophobie, le guide classe de nombreux cas sous la rubrique « islamophobie ».

[4] APCE, Recommandation 1957, « Violence à l’encontre des chrétiens au Proche et au Moyen-Orient », 27 janvier 2011.

[5] S.A.S. [GC], op. cit., § 35.

[6] Voir la note n° 3. La seule mention possible de la discrimination à l’égard des chrétiens se trouve sous la classification générale de « Haine religieuse des non-musulmans ».

[7] E.S. c. Autriche, no. 38450/12, 25 octobre 2018.

[8] Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche, no. 68354/01, 25 janvier 2007.

[9] Mariya Alekhina et autres c. Russie, no. 38004/12, 17 juillet 2018.

[10] Nations unies, Assemblée générale, Résolution n° 72/177, « Liberté de religion ou de conviction », 19 décembre 2017, § 4.

[11] Nations unies, Assemblée générale, Résolution n° 65/224, « Lutter contre la diffamation des religions », 21 décembre 2010.

[12] Nations unies, Rapport de la Conférence d’examen de DurbanA/CONF.211/L.1, 24 avril 2009, 24 April 2009, §12.

[13] Commission des droits de l’homme des Nations unies, Résolution 2005/40 sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la convictionE/CN.4/RES/205/40, 19 avril 2005, § 6.

[14] Nations unies, Assemblée générale, La lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée et la mise en œuvre intégrale et le suivi de la Déclaration et du Programme d’action de Durban – Note du Secrétaire général, A/60/283, 19 août 2005, §7. b.

[15] Nations unies, Conseil des droits de l’homme, Comité spécial sur l’élaboration de normes complémentaires, Document final mentionné au paragraphe 2 d) de la feuille de route sur l’élaboration de normes complémentairesA/HRC/AC.1/2/2, 30 octobre 2009.

[16] Nations unies, Conseil des droits de l’homme, Racisme, discrimination raciale, xénophobie et formes connexes d’intolérance : Suivi et mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’action de Durban – Rapport du Rapporteur spécial, M. Doudou Diene, sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, A/HRC/6/6, 21 août 2007.

[17] Ibid., §3.

[18] Ibid., §45.

[19] Ibid., §49.

[20] OEA, Convention interaméricaine contre le racisme, la discrimination raciale et les formes connexes d’intolérance, entrée en vigueur le 14 septembre 2001, Préambule.

[21] Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, 15e réunion annuelle sur la mise en œuvre de la dimension humaine, discours de l’archiprêtre Sergiy Zvonarev, Église orthodoxe russe, 27 septembre 2011, accessible ici en anglais uniquement.

[22] Mission permanente du Saint-Siège, Déclaration de Monseigneur Michael W. Banach, Représentant permanent du Saint-Siège, lors de la 741e réunion du Conseil permanent de l’OSCE, 20 novembre 2008, accessible ici en anglais uniquement.

[23] APCE, Résolution 2036, « Combattre l’intolérance et la discrimination en Europe, notamment lorsqu’elles visent des chrétiens », 29 janvier 2015, § 1, accessible ici.