Le débat sur la laïcité reprend de la vigueur en Belgique. L’organisation faîtière de l’enseignement officiel francophone (Wallonie-Bruxelles Enseignement) va autoriser le port du voile dans les établissements du supérieur sur lesquels elle a autorité. Ce changement interviendra en septembre 2021, lors de la prochaine rentrée académique, et concernera environ 50.000 étudiants.

Cette décision brise un vieux tabou. L’Etat belge est dit «neutre» et, jusqu’ici, le port des signes convictionnels dont fait partie le voile était interdit dans l’enseignement officiel supérieur, mais admis dans le «libre» – les écoles subventionnées mais non organisées par l’autorité publique. Mais le vent tourne. L’accord de majorité trouvé au sein du gouvernement régional bruxellois mentionne lui aussi un tel changement. On est loin de l’émotion qu’avait provoquée en 2015 une décision de justice affirmant le droit des employées musulmanes de l’office du chômage bruxellois Actiris de porter le voile sur leur lieu de travail.

Pour ses partisans, l’autorisation du port du voile doit permettre de « coller » aux changements sociologiques de la société belge, notamment la présence d’une forte communauté musulmane dans des villes comme Bruxelles et Anvers. Pour ses détracteurs, elle revient à reconnaître l’instrument de soumission de la femme que serait le voile, niant au passage le caractère inclusif de la «neutralité à la belge».

C’est ainsi que le Centre d’action laïque (CAL) «refuse tout symbole lié à un phénomène de soumission à un dogme quel qu’il soit.» Il met en garde contre le prosélytisme et craint que la neutralité ne soit «détricotée». Surtout, il s’inquiète face au risque de voir la nouvelle mesure s’imposer un jour dans l’enseignement obligatoire primaire et secondaire, celui-ci étant fréquenté par des mineurs d’âge a priori soumis à leur famille.

Une neutralité mal vécue

« Je peux entendre à titre personnel que certaines jeunes filles issues de l’immigration et vivant des discriminations cherchent à s’affirmer par le voile », avertit Véronique De Keyser, la présidente du CAL. «Mais je connais aussi le poids et les pressions redoutables des familles, des frères… Au CAL, nous voulons une libération de toutes les femmes.»

Ces échanges se sont faits sur le velours, personne ne haussant la voix. Mais il reste que pour plus d’un observateur, la Belgique vit de plus en plus mal la neutralité inscrite dans sa Constitution (l’Etat reconnaît et finance un certain nombre de cultes, ainsi que la laïcité «officielle» représentée par le CAL). François De Smet, le président du parti libéral-social Défi (Démocrate fédéraliste indépendant) dénonce une «sorte de lâcheté et de retrait du politique», un biais pour ne pas prendre position dans des questions philosophiques fatalement sans réponse. Ainsi en irait-il des régimes différents réservés par Bruxelles, la Flandre et la Wallonie à l’abattage rituel.

François De Smet propose de faire de la Belgique un Etat laïc. Un texte de loi a été déposé devant le Parlement. Selon son auteur, «la laïcité affirme la prépondérance de la loi civile sur les prescrits religieux, comme sur les autres convictions, ce qui est la condition du vivre-ensemble.»

Cette proposition de loi promet de faire débat. Pour Hervé Hasquin, l’ancien recteur de l’Université libre de Bruxelles, la «laïcité à la française» n’est pas un exemple à suivre en Belgique. Chaque pays a une approche de la laïcité modelée par son histoire. Celle du royaume aurait l’avantage d’éviter la polarisation entre radicalisme musulman et intolérance laïque. Alors, pourquoi en changer?, dit-il en substance.

Source : www.wort.lu/fr